Le parcours du combattant

Monique a toujours vu le nom de ses grands-oncles sur le monument aux morts du village où s’enracine sa famille. Elle possède deux portraits pâlis par le temps, et voudrait connaître leur histoire militaire.

Première étape, les registres d’état-civil, afin de les situer dans leur fratrie. On découvre ainsi que Georges et Auguste, nés après une première fille qui fut la grand-mère de Monique, ont eu deux petits frères morts en bas âge, tandis que le sixième enfant du couple parental était mort-né. Monique, en quelques actes découvre la réalité de sa grand-mère seule survivante de cette famille nombreuse.

La suite passe par la consultation des fiches matricules. Georges est né en 1889 et Auguste en 1892, dans le département de l’Ardèche. Avant la mise en ligne de ces fiches sur le site des archives départementales, pour célébrer le centenaire de la première guerre mondiale, il fallait d’abord trouver le conscrit dans la liste du recrutement du canton concerné. L’accès direct rend aisée la lecture de ce document essentiel qu’est la fiche matricule puisqu’il renseigne sur le niveau d’instruction, la profession au moment du recrutement, les caractéristiques physiques, et bien sûr le parcours militaire depuis l’arrivée au corps jusqu’à la démobilisation, la réforme, ou le décès.

On consulte également le site memoiredeshommes.fr qui indique, parmi d’autres renseignements, la date de transcription de l’acte de décès de chaque soldat mort pour la France dans la commune de naissance.

Monique apprendra ainsi dans quels régiments ses grands-oncles ont combattu, et grâce aux historiques des régiments et journaux de marche elle pourra suivre jour après jour le calvaire des attaques et contre-attaques dans la boue des tranchées.

Georges est mort de ses blessures de guerre, le 4 novembre 1915 pendant la bataille de Champagne, et son corps fut transféré après les combats, dans la nécropole de Sainte-Ménehoulde , dans une tombe identifiée sur le plan de ce cimetière militaire.

La photographie d’Auguste, qui fut engagé volontaire en 1913, le montre dans son bel uniforme de zouave . Il mourra également en Champagne, à Ripont, le 6 octobre 1915, à 16 heures, une demi-heure avant la fin des combats de cette terrible journée.

Deux témoins ont attesté de sa mort, car « l’officier de l’état-civil n’était pas présent sur les lieux ». La fureur des combats a nécessité un délai avant d’enregistrer ce décès, seulement le 19 octobre 1915 à Valmy. Auguste n’a pas de sépulture identifiée et repose peut-être dans un des ossuaires de Rouvroy-Ripont. Il avait obtenu le 31 octobre 1914 la médaille militaire et la croix de guerre avec étoile d’argent pour s’être distingué dans l’accomplissement de ses missions.

Ainsi, à travers documents officiels, illustrations photographiques, plans et extraits de récits d’écrivains, Monique et son mari ont pu découvrir le courage de ces deux héros de 14/18, et pour la première fois depuis leur mort, leur rendre hommage en allant se recueillir sur la tombe de Georges, au cours d’un voyage en Champagne.

Le grand-père inconnu

Léon est né en 1914 de père inconnu, et confié à l’hospice de Lyon à l’âge de trois ans. Quand il meurt accidentellement, son fils unique a quatorze ans, et n’aura de cesse de découvrir l’histoire de son père.

Quarante ans se passeront avant qu’il fasse venir dans son département de résidence le dossier de l’assistance publique, qui va lui révéler de nombreuses informations sur l’origine et l’enfance de Léon.

Un document retient son attention : il s’agit du signalement effectué par un employé de la mairie de Lyon, sollicitée pour une aide financière réclamée par la mère de l’enfant, et qui fait état du compagnon de celle-ci, mobilisé le 3 août 1914 et se trouvant en garnison à Tulle. Un prénom et un nom, mais pas de lieu ni de date de naissance. C’est avec ces seuls éléments que l’enquête commencera.

L’hypothèse est celle du décès de ce poilu pendant la guerre, qui expliquerait que la mère ait demandé des subsides et fini par abandonner son enfant.

Des recherches faites sur le site memoiredeshommes recensent plusieurs homonymes. C’est en croisant les noms des régiments d’appartenance des soldats avec la possibilité de garnison à Tulle qu’une seule fiche est retenue. Pour autant, rien ne dit que ce compagnon de la mère est bien le grand-père recherché.

Deux autres étapes seront nécessaires. Établir une généalogie ascendante, puis descendante de la famille de ce personnage, pour retrouver d’éventuels cousins vivants actuellement, et d’autre part, procéder à un test génétique. Il est rappelé que ces tests, dits récréatifs, sont interdits en France et passibles d’une amende de 3750 euros en cas d’infraction, mais aucune condamnation n’a jamais été prononcée contre un citoyen français, et dans les faits, la pratique est courante..

Le petit-fils de Léon prend le risque et commande un kit auprès d’un laboratoire capable d’effectuer un test autosomique et un test sur le chromosome Y.

Les résultats reçus au bout de plusieurs semaines sont peu concluants. Aucun match n’apparaît..

En même temps, une alerte a été lancée sur le site « geneanet » pour repérer d’éventuels membres de la famille du géniteur supposé.

Une longue attente, et un jour, un petit morceau de l’arbre descendant apparaît. Prise de contact avec la personne qui a mis en ligne l’information, suivie d’un long entretien téléphonique marqué par la bienveillance de cette généalogiste, pour aboutir à un autre test génétique chez le mari de celle-ci.

Une nouvelle attente et cette fois le match apparaît dans le résultat du test autosomal. Celui du test du chromosome Y viendra confirmer l’hypothèse de départ.

L’histoire ne s’arrête pas là, puisque le petit-fils et son lointain cousin se sont rencontrés au cours d’une réunion de famille mémorable, et que le nom du grand-père inconnu qui n’était gravé sur aucun monument aux morts figure maintenant sur celui de son village de naissance dans l’Allier. Cette inscription a donné lieu à une cérémonie officielle présidée par le maire de cette commune.

La lettre mystérieuse

À Rouen, au 63 de la rue X…habite une famille depuis des décennies. Une famille qui reçut un jour un courrier particulier : sur l’enveloppe ne figurait pas leur nom et à l’intérieur se trouvait une lettre anonyme et la photo d’une petite-fille.

La lettre, fort bien tournée, racontait le voyage à Rouen de l’auteur, une femme née dans cette maison quelques mois avant la première guerre mondiale, laquelle avait coûté la vie à son père en 1915, et qu’elle avait quittée en 1920 avec sa mère.

Une mère qui à la fin de sa vie lui aurait dit « il faudrait retourner dans cette maison, ton père nous attend ».

Une lettre émouvante, tout comme la photographie de cette femme lorsqu’elle était une petite-fille de trois ou quatre ans, assise au bout du couloir qui mène au jardin. Un document visiblement destiné à rester dans cette maison, souhait implicite que les actuels occupants ont respecté en conservant l’enveloppe et son contenu.

À l’heure de la retraite, le désir est revenu de découvrir l’identité de l’auteur de la missive. Mais comment faire ? A.D.A.GE a fourni la procédure et les découvertes furent au-delà des espérances.

La première étape fut la consultation de l’annuaire de la ville de Rouen, aux archives municipales, pour identifier les habitants en 1913 ou 1914. Un nom apparaît, qui n’existait pas dans les années antérieures, et qu’on va retrouver dans l’après-guerre, ce qui à première vue, est incompatible avec un décès du chef de famille en 1915. Pourtant, cela peut s’expliquer par le fait que le reste de la famille avait continué d’habiter cette maison jusqu’en 1920.

Il faut ensuite se rendre sur le site memoiredeshommes et chercher cette personne. On le trouve bien dans les morts pour la France, tombé en 1915 au lieu indiqué par sa fille. La fiche sur ce site du ministère de la défense indique la date de transcription du décès, résultant d’un jugement en raison du statut de « disparu ». Pas de tombe, donc, mais son nom gravé sur le magnifique mausolée de sa famille dans une commune du Pays de Caux.

Cela ne suffit pas, une recherche dans l’état-civil s’impose. Tout d’abord un mariage, qu’on trouve à Rouen, en 1913, et la consultation des tables décennales de la commune qui permet de trouver la naissance de deux petites-filles portant le même patronyme en janvier 1914. L’un des deux va révéler définitivement l’identité de l’inconnue, il s’agit de Françoise B.

On pourrait en rester là mais la curiosité est aiguisée, qui sont donc ces deux jeunes parents que la guerre va briser ? Et leurs familles ?

De recherche en recherche, dans l’état-civil et les recensements, on découvrira que les grands-parents paternels de Françoise B. lors de leur mariage près du Havre, eurent pour premier témoin un certain..Félix Faure, député, et qui deviendrait quelques années plus tard président de la République.

On apprendra aussi que le grand-père maternel était professeur de rhétorique au Lycée Corneille de la ville et ami du philosophe Émile-Auguste Chartier, dit Alain, que ce parisien de naissance, fils d’un huissier, était ancien élève de l’école normale supérieure et chevalier de la légion d’honneur (grâce au site Leonore) , et que l’oncle maternel, célibataire et mort sans enfants, était journaliste et écrivain, ancien résistant et commandeur de la légion d’honneur.

Quant à la mère de Françoise B. elle était professeur agrégé et enseigna à Paris à l’université après son départ de Rouen, ce qu’indiquent les recensements à Paris, consultés lorsqu’on découvre le lieu du décès de Françoise B. en marge de son acte de naissance et l’adresse de sa mère dans l’acte de décès de celle-ci. L’emplacement de leur tombe en concession perpétuelle au cimetière parisien de Bagneux a été trouvé en consultant les archives de la ville de Paris.

Fille unique et petite-fille unique du côté maternel, Françoise B. a donc fait un pèlerinage sur les lieux de son enfance à l’âge de la retraite, respectant ainsi le souhait de sa mère, et a confié à cette famille inconnue d’elle, un document qui permettrait, quarante ans plus tard, d’exhumer l’histoire d’une famille peu commune.

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